Entre Midi et Deux - 27-03-09 (Celui qui)
Proposition de travail : Remonter dans une généalogie fictive ou réelle à partir des premiers mots "celui qui", celle qui", "ceux qui".
Passeur d'hier à demain
Celui qui charonne, déforme et reforme, martèle, défonce et reconstruit le rougeoiement d'acier et ce sera le bon pain doré, la moelleuse blancheur de la mie, la croix discrètement tracée au dessous.
Celui qui, d'un geste évasif abandonne sa main qu'on avait cru levée pour demander la parole ; celui qui l'œil mi-clos étincelle en attente ; celui qui, au bord, sur le point de...
... et de nouveau, et encore, et depuis, et pour combien de millénaires, renonce.
Celui qui dès la rosée de son âge, dépourvu de tempérance, naïf orgueilleux, imprudent, impudent même, s'avance tête haute, mains nues, à la conquête des miettes quotidiennes, inlassable causeur à disputer le moindre, à disputer le peu et soudain l'horizon s'élargit, il prend sa place au monde.
Celui là qui, de toute éternité respire le parfum du lys et des roses, passeur d'hier à demain, et ce jour, ne vaut plus rien.
Muriel V.
Ceux-là
Celui qui a aimé sans question et qui a partagé son bateau, son chien, son rire et qui n'avait pas besoin de réponse ;
celui qui mentait délicieusement en faisant rêver des lignées magiques irlandaises, espagnoles, scandinaves et plus loin encore, qui escroquait tout en faisant rire, on ne pouvait que lui pardonner, même son suicide ;
celui qui n'avait plus de dents, ses lèvres découvrant ses gencives toutes roses, sa langue entre deux, quant il était heureux, rarement, sauf en haut de la falaise dans son jardin potager surplombant la mer quand il ramenait un œuf de mouette à la maison;
celui qui souriait avec ses camarades sur la photo sépia, évidemment yeux bleus quand même, on était fier que ce soit un homme qui soignait avec les herbes, mais non en fin de compte, c'était un simple matelot ;
celui qui a fauté avec la bonne, la chassant ensuite pour finalement la rechercher avant sa mort et reconnaître l'enfant, lui donner une ferme et racheter son péché : refusé ;
celui qui était encore derrière tous ceux-là, en amont, en aval, l'inconnu, le dénominateur commun. . . .
Celui qui était révolté, fougueux, si beau, qui a exploré tout ce qu'il pouvait, qui avait si peur des autres ;
celui qui gardait les vaches, ensuite les chevaux, ensuite sa femme, son fils, sa vie, bien gardée ;
celui qui buvait, trop, qui, tombé dans le fossé ivre mort, essayait d'éteindre la poire de la lumière en regardant la lune au-dessus de sa tête, et qui a laissé son bon souvenir ;
celui à la moustache blanche, la démarche d'un indien, on ne sait rien de plus . . .
Celle qui faisait une délicieuse pâtisserie, qui avait une mère voyante guérisseuse, elle qui a accidentellement tué son père, qui disait qu'elle sifflera une mélodie quand elle serait de l'autre côté pour dire que tout allait bien ;
celle qui faisait peur aux petits enfants . . . .
Ceux-là, s'ils ont existé, où sont-ils ?
Fiona R.
Celui qui dort sur ses deux oreilles
Celui qui dort sur ses deux oreilles n'est pas encore n'est pas encore encore né ; chacun d'entre nous a un assassin comme ancêtre, ou l'engendrera au cours de sa descendance ; et faire fi de l'innocence, cette petite cupule opaline et transparente qui ne dure que le temps de l'illusion qu'on s'accorde à prêter à l'enfance, c'est bien le moins que puisse espérer les âmes humaines tourmentées, c'est renoncer à vivre; il parait que celui qui reprise ses chaussettes la veille d'une grande bataille, d'une manière générale, s'en sort plutôt mieux ; article numéro un, tu ne tuera pas, eh bien en rêve combien de fois avez-vous commis l'irréparable, oui c'est cela, j'écrase le mille pattes qui se tortille sous mes assauts et lorsqu'il ne bouge plus je ne puis claquer des doigts et hop ! le remettre sur pied ; ou la pauvre chenille méprisée qui ne sera jamais papillon? Tous ces gens qui meurent ou qui sont morts dans un projet criminel sans avoir mené à bien leur vie, comment vont-ils nous manquer? Les dictateurs, les prédateurs, les manipulateurs tous des enfants mal aimés? J'avoue avoir flingué ma mère un jour de grande lassitude et l'avoir réduite en hachis ; en rêve, mais il y en qui l'ont fait en vrai, avec des inconnus qui plus est, pour de la chair à canon, pour de la chair fraîche à consommer sur place ou à emporter, ce bébé n'est-il pas à croquer ?Ah nous y voilà l'homme cannibale mais ça n'existe plus que dans les contes pour les touts petits, ouvrer la bouche bouffez l'hostie et dites amen, c'est le corps du christ, d'ailleurs
coupez la main de celui qui vole par manque de pain, vendez les enfants, trafiquez les organes avec le progrès qui sait l'homme nouveau saura t-il être celui qui peut dormir sur ses deux oreilles .
Valérie B.
Portraits
Celui dont l'histoire s'en fut au puits au froid avec la crème à faire le beurre
Celui dont les mouches l'été tâchaient avec les taons de commenter la guerre
Celui dont rien ,pas même un mot , ne passa les lèvres de sa veuve
Elle dont la voix se cassa juste au bord du puits
de sa misère ,miserere, de profundis clamavi ...
Elle dont la main compulsive le soir caressait
le surjet satiné de sa couverture de laine
dans une chambre suspendue dans le temps ,
dont la peau se rétrécissait à vue d'œil
autour des yeux ,du nez ,de la bouche des lèvres,
au point de devenir quasiment nulle invisible
dissoute au blanc de ce grand lit de cuivre où
le buste calé par deux gros oreillers elle a trôné ;
dont la plainte du fond du puits du psaume
surgie planait soudain silencieuse dans la chambre
les soirs d'hiver ,alors que la lumière du phare
au loin tâchait encore d'éclairer un tant soit peu
les lézardes des murs pour les rendre visibles
à tous ceux dont les langues furent finement découpées en lamelles
jetées aux chiens puis dévorés comme Jézabel :leurs mots leurs morts
leurs songes encore et encore régurgités longtemps après le temps des portraits
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1-Celui qui est ,fut et demeure, pour moi pendu muet, le regard fier tout au dessus d'une cheminée dans une chambre fraîche l'été où ne flamboyait jamais de feu l'hiver .
Celui là , l'homme au portrait dont elle remarque le menton en galoche si volontaire , dont l 'habit breton , l'allant fascinèrent la gamine curieuse têtue qu' à sept ans elle fut , se souvenant soudain , certain été, être restée un temps indéterminé deboute -dit l'Autre - sur le plancher face au regard fixe du portrait muet , dont elle pressentait que les vivants voudraient l'arracher -pour quelle raison ?-
Est-ce pour cela qu' avec passion l'enfant se mit à attendre devant el portrait :« Une parole ,une seule et je serai guérie ..mar plij » répétait-elle en sa tête comme à la messe c'est un seul mot depuis là -haut et pour la vie dont elle désirait être guérie !.
Mais le portrait de celui qu'on lui avait dit être le père de sa petite tante - brunette charmante sur une photo cernée de noire elle avait cru voir sa jumelle à elle - morte de phtisie à l'âge de treize ans en 1932 dix jours avant que cet homme de la photo (son père )lui aussi ne décède , ce portrait d'un mort , de ce grand père qu'elle ne put connaître , il lui semblait qu'il se devait mettre en lumière, être le phare pour éclairer l'insondable misère qui cassait la voix de Channe ,l' aieule pour elle ( la mère , l' épouse pour les modèles des photos ) oui, lui se devait d'avoir pitié le soir venu de sa veuve entamant la prière des morts : « De profundis clama vi .. . » lui , l'homme au portrait pouvait seul empêcher cette kassure douloureuse dans la voix de l'aieule oui,l'homme au portrait aurait dû intervenir ..mais ...
La petite fille brunette aussi comme la petite morte ,au même âge sans doute attendait un signe : perdue en la contemplation de celui qui au mur se taisait , qui ne l'arrachait pas même au bourdonnement des mouches dans la chambre , ni aux beuglements des génisses en chaleur tourmentées par les taons au dehors ,ni à la rumeur de tous ces moteurs lancés à plein régime vrombissant s'emballant : sur l'aire proche celui de la batteuse , plus loin sur la route goudronnée celui des DS , des Dauphines , des tractions avant Citroen , dont le régime allait croissant toujours ,allait s'enflant sur la ligne droite après le tournant menant ses occupants à cent à l'heure , à tombeaux ouvert droit vers la mer . Les tympans de la fillette immobile enregistraient mine de rien cette course folle des autos vers la mer et elle se demandait ,ce conte de silence et de bruit quelle en serait l'issue ! : Tout cela s'enregistrait en elle , toutes les questions ,la guerre , l'après guerre , toutes les guerres , lentement , l'école et les mots aidant , émergeaient tous ces points d'interrogation, noyant sans doute à tout jamais l'insouciance de l'enfance , lentement donc ce portrait -là ,de cet homme là ,ce monsieur K la fit basculer au - delà de la peau des visages la propulsa dans sa phrase filandreuse donnant forme peu à peu à ce qu'elle pourrait plus tard peut-être formuler d'elle .
2 -Celui qui ,l'hiver l'été ,par la chaleur par les frimas
Le regard fier le buste droit , le chapeau rond enrubanné
le menton fort proéminent ,cloué au mur au- dessus de l'heure
Au dessus de l'âtre d'une cheminée désaffectée se donne l'air de régner .
Celui qui persiste malgré les cris malgré les pleurs
Et la colère à opposer son froid silence sa
langue gelée sa parenthèse d'existence aux prières
d'une descendance restée en rade et en souffrance ,
Celui qui à l'évidence a dû un jour être :
Il a posé ce monsieur K pour son portrait
il a d'un regard cloué à son sort
sa petite fille médusée , au point que
depuis lors, elle n'a cessé de l'interroger :
« Avait-il ,lui, partie liée avec les maux
qui s'abattaient ici depuis ce temps où
subrepticement , dans cette chambre là bas
elle fut enfermée en tête à tête avec ce K ? . »
Dans l'intention de le soumettre à la question
elle demeura , persuadée que la clé du conte
demeure cachée dessous la langue de l'aieul .
Madeleine O.
La maîtresse poutre
Celui, qui en tant qu'aîné d'une famille paysanne,
A la prou de la ferme devait être le modèle, le presque père
De ne plus supporter d'être, par sa femme trompé et les autres moqué
S'est, un beau jour, à la maîtresse poutre de la grange, pendu
Celui-là que les parents évoquaient quelquefois
N'est plus qu'un nom, que dans quelques années plus personne ne prononcera
Celui-là disparaîtra dans les plis herbeux d'un arbre généalogique
poussiéreux
Celui-là dans la terre argileuse est maintenant enroulé
Le crâne sec enserré par des racines filandreuses et tenaces
Celui-là, à jamais se fondra dans la glèbe maternelle et persistante
A jamais disparaîtra
Comme nous disparaîtrons tous...
La Taupe
D'où ça vient
Celui qui élevait des chevaux de feu dans des enclos bien dressés.
Celle qui voyait des araignées sur le plafond et qui n'en est pas revenue.
Ceux qui ont vu le loup blanc et qui n'ont pas hurlé avec les autres.
Celui qui appelait ses chiens, amenant les moutons à bon port et à leur perte.
Celle qui est partie loin derrière l'océan.
Celui, celle et ceux qui ont façonné cette œuvre particulière.
Tony H.